Le pas de l'Aire

L'activité de production du charbon de bois a laissé de nombreuses traces dans les forêts alpines. Dès le Moyen-âge, des équipes de charbonniers transformaient le bois des feuillus - majoritaires à l’époque - en combustible pour l'industrie métallurgique. En 1875, pour faire face à une grave crise de la filière du bois, les exploitants forestiers durent aller chercher des travailleurs saisonniers jusqu’en Lombardie, des Bergamasques surtout. Durant la terrible guerre des Dolomites, d’autres Italiens originaires de Vénétie et du Haut-Adige vinrent trouver refuge dans les forêts françaises. Ils ont joué un rôle important dans leur exploitation, mais leur mode de vie restait si fruste et ils s’installaient dans des endroits si retirés qu’on trouve peu de témoignages sur leurs habitudes, leurs cheminements secrets ou leurs moyens de subsistance. Les vestiges les plus courants sont des plates-formes, parfois soutenues par de gros murs de pierres, où la terre noircie par le feu est encore visible. Jusqu'à la Seconde guerre mondiale, des fours en pierre ou en terre étaient utilisés, comme cela se fait toujours aujourd’hui au Maroc. Pendant la guerre, de grosses marmites en métal facilitaient le travail. On en trouve encore dans nos forêts. 

Ces hommes des bois, hirsutes et noirs de suie, ne sentaient pas la rose, ne parlaient pas bien français, et faisaient donc un peu peur aux habitants. Mais Henri Ferrand rappelle dans son ouvrage sur les Alpes du Dauphiné que « Ces pseudo-bandits sont les hommes les plus doux et les plus obligeants, toujours prêts à se détourner de leur travail pour vous remettre dans le droit chemin ou vous offrir l’hospitalité dans leurs huttes de branchages. »

Le site dont nous parlons ici, qui domine Saint-Paul-de-Varces, semble avoir été très actif, puisqu’on peut y observer de nombreuses plates-formes entre 500 et 1500 mètres d’altitude. Certaines se trouvent dans des couloirs pentus et encaissés et il est difficile d’imaginer que des familles aient pu vivre dans des endroits si retirés jusqu’à une époque récente, l’activité n’ayant totalement disparu que dans les années 1960.

Constatant que plusieurs plates-formes charbonnières se trouvaient dans le cirque du Bacon et, plus haut, autour des arches de l’Aire repérées par Raf Rodon, je m'étais dit que ces travailleurs devaient bien communiquer entre eux et avaient sans doute pour cela développé un réseau de sentiers pouvant emprunter des passages escarpés, et rien ne semblait leur faire peur. De fait, on trouve des sentes un peu partout dans la forêt autour du lieu-dit « pas de l’Aire ». Cette appellation mentionnée sur la carte IGN ne manquait pas de nous intriguer, Raf et moi. En effet, un pas est un passage qui permet de franchir une difficulté par une vire, un couloir ou autre subtilité. Or, à cet endroit, il n’y a en apparence rien de tout cela, juste un chemin qui relie une série de charbonnières, ces plates-formes qu’on appelle aussi des « aires », justement (mais il peut aussi s'agir d'une référence à une aire d'aigle ?).

Suivant cette logique, je me mis à chercher ce fameux pas de l’Aire avec Laurent Jacquet à l’automne 2022. Une large rampe, complètement invisible du bas, nous mena à des passages escarpés où se trouvaient des traces de passage très anciennes : un vieux câble sur la vire de sortie, puis un autre qui pendouillait dans des barres rocheuses assez raides dominant un petit cirque. En fait - nous le verrons plus tard -  ce grand câble avait été fixé plus haut par des vieux pitons qui s’étaient descellés. Heureusement que nous n’avions pas essayé de grimper en nous tirant dessus, car, plus tard donc, lors d’une descente de ces barres en rappel, nous avons sorti ce câble d’une grosse touffe d’herbe dans lequel il était simplement coincé… Par la même occasion, nous avons constaté la présence de quelques pieux en fer permettant d’escalader une cheminée dérobée, ainsi que les restes d'un chemin. 

Il peut s'agir du vrai pas de l’Aire, qu’il ait été pratiqué par des chasseurs ou des charbonniers, ou les deux. Mais il n'est aujourd'hui plus praticable, et l'accès à tout ce secteur est maintenant très réglementé en raison de la présence d'aigles Royaux. J'ai donc limité les photos de cette page au sentier classique qui monte au pré du Four depuis Saint-Paul-de-Varces et dois déconseiller le secteur pour éviter le dérangement des aigles. Reste que l'aspect historique relatif à la présence des charbonniers est intéressant et mérite une évocation, ce qui est fait plus bas.

Pour ce qui concerne la présence des aigles Royaux, merci de consulter le widget de la LPO : https://biodivsports-widget.lpo-aura.org/

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Cette plaquette réalisée par Bob Keller et Claude Varanfrain à propos des charbonniers de la commune voisine (Claix) est passionnante. On y trouve les secrets de la fabrication du charbon de bois, des détails sur les rudes conditions de vie des charbonniers, sur leur histoire, ainsi que les témoignages de ceux qui sont toujours là. Elle est difficile à trouver aujourd'hui, mais je l'ai scannée et elle est consultable en cliquant sur ce lien : https://photos.app.goo.gl/ErJcAyMFgMed9EJk6

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Ci-dessous, ce document de 4 pages m'a été transmis par Bob Keller suite à une rencontre avec Abel Offredi, fils d'Angelo Offredi, un charbonnier qui a commencé à Saint-Paul-de-Varces en 1919. Abel allait de temps en temps avec son père et en a gardé d'excellents souvenirs. La production de charbon de bois était alors destinée essentiellement aux cimenteries Vicat de la Genevray du Gua. Ce document est dû à Émilie Offredi, sœur d'Abel, en hommage à son père Angelo.

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