8 Novembre 2024
Sur cette vire, on atteint non pas un sommet, mais plusieurs : ceux de l'improbable et de l'étonnement, de la verticalité et du vide absolu, ainsi que ceux de l'extrême sauvagerie de la nature des Alpes du sud et de l'âpreté du passé de ses habitants. Cette vire étroite traverse à mi-hauteur et sur presque 2 km une falaise surplombante haute de 300 mètres par endroit. C’est donc l'un des parcours les plus exposés et les plus vertigineux que l'on puisse imaginer. Avec ses passages d'anthologie, il me semble qu'il se hisse au niveau des scramblings de Sardaigne, des ferrata des Dolomites ou des graus (1) de Catalogne.
Même si l'on n'est pas un adepte de ce genre de parcours, ces montagnes de la région du haut Verdon et du haut Var sont à voir de toute façon. Les reliefs y sont impressionnants et on peut se balader sur des sentiers parfois escarpés qui mènent à des cascades, des grottes, des lacs et de grands alpages perchés jusqu'à 2700 mètres. Et surtout, il y a Aurent, extraordinaire témoignage du passé qui fut abandonné puis restauré (ce qui est assez rare pour être souligné), et dans lequel on peut séjourner grâce à un refuge communal (voir plus d'infos sous les dernières photos de cette page).
1 - Graus est un mot courant en Catalogne et désigne des sentiers escarpés se faufilant dans les falaises en utilisant les faiblesses naturelles du terrain (du latin "gradus" = gradins d'un amphithéâtre). Il est souvent traduit en français par rang (ou ranc), qui désigne un ensemble de vires dans les Alpes. On peut cependant trouver le mot "graus" dans les régions montagneuses françaises, notamment ici dans les Alpes de Haute-Provence. Je précise tout ceci parce que la vire d'Aurent se termine justement dans un ravin des Graus indiqué sur IGN, ce qui laisse supposer que les bergers descendaient déjà dans ces gradins raides, et même sur la vire où l'on voit des traces de coupes d'arbres.
Cet itinéraire n'est pas exempt de dangers et s'adresse à des pratiquants capables d’évoluer en terrain exposé et escarpé et connaissant les techniques d’assurage. Le topo est disponible uniquement sur demande par l'onglet "contact" de la page d'accueil de ce blog. Merci de rester discrets et prudents lors de votre visite de ce site exceptionnel.
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Pour la petite histoire, j'ai été invité à parcourir cette vire en novembre 2023 par Serge et François, deux spéléos-alpinistes de la région de Manosque qui suivaient mes parutions depuis de nombreuses années. Serge l'avait repérée lors d'un vol en parapente et tous deux l'avaient déjà reconnue du sud au nord jusqu'à la margelle évoquée plus bas, avant laquelle un rappel leur a permis de descendre au pied de la falaise. Ils y sont retournés peu après ma venue pour accéder à la vire par le nord et ont équipé les passages les plus exposés jusqu'à la margelle, bouclant ainsi une boucle que je suis retourné faire intégralement un an après en compagnie de Laurent Jacquet.
Tout commence par une brève descente vers le hameau miraculeusement restauré d'Aurent, face au versant sud de la montagne de Beaussebérard (2088 m), par lequel nous descendrons le lendemain.
Le refuge d'Aurent est désert à cette époque. Nous y passerons une longue nuit réparatrice pour digérer un magret de canard amoureusement préparé par Laurent.
Renardo est toujours là et mendie, mais on n'a rien à lui donner (pas du magret, quand même...!) - (photo Laurent Jacquet).
Départ à l'aube pour la vire de la face est de Beaussebérard, invisible d'ici. C'est le versant sud qui domine le hameau, et c'est là qu'on peut encore trouver de très anciennes traces de sentiers de bergers ainsi que des abris naturels, les fameux "baoussés" des "bérards" (bérard=berger) - (photo Laurent Jacquet).
La "Baume du Vent" est cette imposante falaise que nous allons traverser par une vire à peine visible à mi-hauteur.
Pour en avoir une vision plus complète, nous sommes montés en face sur le chemin des lacs de Lignin.
Et là, il s'est produit un petit miracle : la limite ombre/soleil souligne exactement le tracé de la vire. La main de Dieu ?
Nous redescendons dans le lit du Riou (ravin de Grave-Plane) et le suivons vers le nord (photo Laurent Jacquet)..
On voit à droite le petit canyon de la Valette. C'est par sa rive droite que nous accèderons à la vire (photo Laurent Jacquet).
Traversée entre deux cascades du ravin de la Valette avant de remonter les raides gradins de l'autre rive (photo Laurent Jacquet).
La première difficulté - une dalle blanchâtre - est équipée d'une corde bienvenue. Merci Serge ! (photo Laurent Jacquet).
Deuxième difficulté : une cheminée de 6/7 mètres à négocier en grand écart au début. C'est le seul passage qui peut vraiment être qualifié d'escalade (photo Laurent Jacquet).
Et voici LE passage d'anthologie : un margelle sous un surplomb qui oblige à se mettre à quatre pattes en poussant son sac devant soi. Il ne faut pas avoir des genoux trop larges (-; Là, on profite du vide, la falaise étant surplombante 200 mètres au-dessus et 100 mètres en dessous (photo Laurent Jacquet).
Nous sommes étonnés par la taille de plusieurs souches de genévriers. Sciées ? Brisées par des chutes de blocs, la vieillesse ?? - (photo Laurent Jacquet).
Ce passage étroit et encombré de blocs se situe juste avant une échappatoire possible par un rappel de 50 mètres en fil d'araignée. Avant que la partie droite ne soit équipée, c'est par là que nous étions descendus en 2023.
Serge est le découvreur de cette vire et cette photo de lui date de l'année précédente, alors que nous avions fait la vire dans l'autre sens, du sud au nord. Il décèdera malheureusement 4 mois plus tard lors d'une chute au Gourras à Saint-Geniez.
On arrive à la rampe, autre passage d'anthologie où la vire se transforme en toboggan rocheux. Une corde fixe permet de n'y point glisser (photo Laurent Jacquet).
En haut de la rampe, il faut passer dans une sorte de goulet souterrain pour trouver la suite (photo Laurent Jacquet).
En se retournant, on sera étonné de voir où l'on est passé. Le goulet et la rampe sont cachés dans ces curieux plissements sur la droite.
Après une remontée assez rude du ravin des Graus, on arrive 200 mètres plus haut sur un balcon facile qui traverse vers le sud.
Il ne reste alors qu'à suivre les anciennes sentes de bergers dans le versant très raide et complexe qui se déploie au-dessus d'Aurent, visible au centre 600 mètres plus bas (photo Laurent Jacquet).
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Aurent, village ressuscité après 20 ans d'abandon, ne peut laisser indifférent. Il faut y passer une nuit avant de partir pour l'une des nombreuses balades alentour. Ici, le temps s'est arrêté et offre une pause en parfaite harmonie avec ces montagnes sauvages.
Voir historique sur la photo du panneau ci-dessous.
Un refuge en gestion libre est ouvert au bout de la ruelle centrale. On y trouve une quinzaine de lits avec matelas et de quoi faire la cuisine (mais pas de cuisinière, ni de poêle à bois depuis 2024). Si vous y séjournez, merci de ne pas laisser de traces de votre passage et de remporter vos déchets.
À voir sur ce blog pour élargir son horizon :
Vires à gogo - pascal-sombardier.com
Ce petit spicilège de vires aériennes est l'une des pages les plus regardées de mon blog. Je le complète périodiquement avec des nouveautés au gré de mes dernières pérégrinations. J'ai d...
Des voies d'escalade avaient été ouvertes en 1998 et 2017 sur la gauche de cette paroi (pratiquement sur le grand pilier qui domine Aurent). Détails à voir sur C2C et "Guides 06" :